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   Chroniques  La chronique de Daniel André

Comportement irrationnel  du consommateur de fruits légumes.

Par cet article, je cherche à faire ressortir les contradictions flagrantes que l’on observe entre les exigences déclarées de nombreux consommateurs de fruits et légumes, face à leurs habitudes d’achat réelles qui, le plus souvent, reflètent un choix diamétralement opposé. Bien des consommateurs déplorent, en effet, que les aliments végétaux qu’on leur propose à l’achat sont gustativement blafards et d’une gamme variétale très limitée, et, en raison notamment du mode de production intensive auquel on les soumet, très certainement préjudiciables à leur santé. Comment ne pas s’étonner alors, que dans les faits concrets, ces mêmes consommateurs portent presque inéluctablement leur dévolu sur les variétés justement les plus insipides qui soient, décourageant ainsi toute velléité, de la part des maraîchers, à produire les variétés organoleptiquement supérieures ? Car le producteur ne peut aucunement se permettre, économiquement parlant, de cultiver les variétés qu’il vendra mal ou même pas du tout. D’autre part, le revendeur, quant à lui, irait à la faillite si, dans le choix des variétés qu’il propose à la distribution, il ne tenait pas totalement compte des exigences du consommateur, c’est donc bien ce dernier qui, seul, est responsable de la déplorable pauvreté du choix des aliments végétaux qu’on lui propose. Cet article se propose d’en faire la démonstration.

Profil du consommateur tout venant 

Tout d’abord, l’observation globale des faits donnerait à penser que le consommateur préfère généralement les aliments qui transitent quasi anonymement de la bouche à son gosier ; ses papilles ayant fini par affectionner le fade, elles s’accommodent plus volontiers du linéaire gustatif ; cette préférence est encore renforcée dès l’instant où le consommateur y trouve un certain avantage économique ; car non seulement la masse mange avec les yeux, mais ne se priveraient pas, éventuellement, de manger à l’œil ! Le choix variétal auquel s’astreindra le revendeur, dans son magasin, reflétera donc les préférences du plus grand nombre, et ceci peut aboutir à ce que des consommateurs plus avisés dans leurs choix se plaignent de la gamme que les hypermarchés leur imposent, oubliant que celle-ci est simplement calquée sur la demande de ce plus grand nombre !

Des exigences irrationnelles 

Un fruit ou un légume bien dimensionné, mais gustativement exsangue, est-il moins recherché que son équivalent de dimensions plus modestes mais savoureux ? Il semble que le consommateur courant, celui qui achète avec les yeux, opte plutôt pour un gros céleri rave (par exemple) boosté aux engrais chimiques, plutôt que le même, céleri plus petit, mais fertilisé aux engrais organiques, plus savoureux, certes, mais moins  « beau » à voir. On se demande si c’est bien la bonne approche pour encourager le producteur à cultiver naturel ! Le bio, c’est trop cher ?  Il faut, certes, être motivé pour dépenser davantage pour une qualité que l’on estime supérieure, pourtant lorsque le paysan du coin propose, à ceux qui réclament cette fameuse qualité naturelle, d’aller ramasser eux-mêmes les pommes de terre bio dans son champ, et ceci à prix coûtant, plutôt que de se salir les genoux dans la terre, ces amateurs de bio choisissent le plus souvent de plutôt courir acheter, à l’étal du marchand, la grosse et fadasse patate bourrée de potasse qu’ils critiquaient peu de temps avant ! Et pourquoi croyez-vous qu’il échoit à certains producteurs fruitiers d’être contraints de jeter leurs fruits pour peu qu’ils extériorisent la moindre disparité de calibre, ou exhibent la plus anodine égratignure, voire le plus imperceptible coup de bec d’oiseau ? Parce que la majorité des clients, lorsqu’ils farfouillent dans le tas de fruits au supermarché, écartent avec un dédain agressif tous ceux qui accusent de tels « défauts » ! Attitude certes justifiée si ce fruit est vendu aussi cher que son homologue indemne de toute trace !  Pourtant, il peut s’estimer heureux, le fructiculteur qui trouve encore des amateurs avertis à qui il vendra ses fruits hors calibre ou égratignés, même à un prix dérisoire !

Ainsi, il arrive quelquefois, à un producteur malchanceux que je connais, de subir la perte d’un hectare de salades du seul fait que la sécheresse, par exemple, n’aura pas permis qu’elles atteignent le calibre exigé par un cahier des charges qui n’est que le reflet des exigences de la clientèle stupide en matière de choix de légumes. Une salade, en effet, doit être grosse ! Quoi qu’on dise, la petite laitue, même vendue moins chère, ne trouvera guère preneur ! Or, une laitue plus petite est moins riche en eau et son petit calibre témoigne qu’elle n’a pas été boostée à l’azote, son goût est donc généralement supérieur. On ignore généralement que le producteur ainsi lésé doit quand même s’acquitter d’une fiscalité aussi élevée que s’il avait vendu normalement sa production légumière !

Il n’est d’ailleurs pas juste d’accuser le producteur de choisir les variétés sans saveur qu’il propose à la distribution, d’abord, parce que ce n’est pas lui qui choisit. Travaillant sous contrat, il est entièrement soumis au grossiste en ce qui concerne le choix des semences qu’il doit mettre en terre ! Quant au grossiste lui-même, celui-ci n’a qu’un seul choix possible auquel il ne peut déroger, celui de répondre aux exigences bien trop souvent irrationnelles de la masse des consommateurs pointilleux à l’égard de certains paramètres autres que la saveur, ainsi qu’à celles du cahier des charges de la distribution, non moins draconien : (Conservation, attrait visuel, modes, résistance aux manipulations et au transport, etc.).En clair, le contrat qui lie le producteur au grossiste ne laisse au premier strictement aucune latitude concernant le choix variétal des végétaux qu’il va cultiver, son obligation majeure et non négociable se résumant à produire uniquement ce qui est le plus facile et le plus rentable à distribuer pour les intermédiaires, c'est-à-dire ce qui se vend le mieux parce que cela répond à ce que le consommateur exige, aussi aberrant que son choix puisse être ! Les hypermarchés ne sont donc pas ceux qui dictent, aux consommateurs avisés, les choix variétaux dont ils se plaignent. Si, à l’étal, on trouve malgré tout des variétés de choix, c’est généralement à un prix plus élevé, mais ce surcroît de coût est la conséquence de la moindre demande du public et donc à son prix de revient supérieur. Le jardinier amateur, n’étant pas, quant à lui, assujetti  à de tels impératifs désastreux pour la qualité gustative, on pourrait penser qu’il fait le meilleur choix dans la sélection des variétés qu’il cultive ; or, on constate hélas qu’il se limite très souvent, et de son propre chef, aux variétés industrielles auxquelles il est familiarisé, ainsi qu’au mode de culture assorti, soit par ignorance du vaste patrimoine légumier à sa disposition, pour l’essentiel oublié ou peu exposé aux regards, ou encore par préjugé imitatif, et ceci alors qu’il prétend, paradoxalement, ne rechercher que leurs avantages gustatifs !

Ce que le client achète réellement

La bouche réclame la qualité, mais l’œil se laisse séduire par la beauté.

Ce qui ressort des constats généraux que l’on peut faire, c’est la préférence générale des consommateurs pour le sucré, le suave, et tout ce qui est gentil, voire neutre, au palais. Le goût est le produit d’une éducation, celle-ci étant souvent inexistante, la mémoire papillaire reste à jamais cantonnée à deux ou trois gammes de saveurs, acquises notamment au cours de l’enfance ; tout ce qui sort de ce cadre gustatif est recraché avant même d’être avalé. Certaines variétés anciennes de légumes, cultivées en bio et dotées d’un grand relief gustatif, se sont même vues rejetées par certains chefs cuisiniers, du fait notamment qu’elles faisaient perdre, à leurs préparations savantes, la touche gustative particulière qui faisait leur succès, inconvénient que le légume standard, aseptisé de toute saveur, ne saurait avoir !

En raison de la  perception gustative limitée de la bouche du plus grand nombre, face au vaste patrimoine gustatif encore disponible, la plus petite acidité, le moindre petit goût trop prononcé, ou inconnu, a tendance à révulser de nombreux palais. Tant pis pour la juteuse poire "Beurré Giffard", par exemple, ou pour sa sĹ“ur la "Précoce de Trévoux", toutes deux si généreuses en flaveurs que rehausse encore cette pointe de jus acidulé, ou même la peu présentable Reinette Dubuisson, au parfum sans égal, ou l’Akane, avec son arrière goût d’amande et sa légère acidité aromatisée, pomme qui, quant à elle, est rejetée paradoxalement à cause de sa belle robe justement, si chromatiquement aguichante qu’elle force à penser qu’on l’a obtenue artificiellement ; la mariée est trop belle, elle est donc à jeter ! C’est qu’il ne faut pas en faire trop non plus ! La bouche ne saurait accepter ce que l’œil point n’agrée ; ainsi les variétés de bon goût, mais insuffisamment colorées, sont elles aussi honnies. Ni trop, ni pas assez, le goût viendra après ! A la véritable Reine des Reinette, d’aspect plutôt palot et devenue d’ailleurs introuvable, on préfère la Reine des Reinettes moderne, d’un beau rouge pimpant, comme celles que l’on dessinait à l’école, et qui est davantage une Melrène qu’une vraie Reine des Reinettes dont le charme chromatique faisait défaut ! Essayez, pour un même prix, d’exposer à la vente des fruits aux coloris vifs, peu importe leur médiocrité gustative, en compagnie de fruits savoureux mais pales, et observez quel sera le choix de la masse des acheteurs ! Cette remarque ne s’adresse évidemment pas à la minorité des consommateurs avertis (j’allais dire "élites") auxquels cet article ne s’adresse evidemment pas.

Les tomates, quant à elles, n’ont droit qu’à une seule couleur : le rouge, une seule forme, la boule ; sinon, observez ce regard oblique de suspicion méprisante que lui lance l’acheteur ! Alors, tant pis pour la variété "émeraude" ou "Green Zebra" qui reste toujours verte, même à maturité, pourtant si juteuse, si idéalement sucrée et acidulée en même temps. Tant pis aussi pour les variétés roses, comme la «Rose de Berne», probablement la meilleure tomate qui soit !

Pour le poireau, là non plus, ce n’est pas le goût qui préoccupe celui qui achète avec les yeux, mais le fut, qui doit être bien blanc et long ; à éliminer sans pitié s’il se termine par un oignon au lieu d’être bien rectiligne jusqu’à la racine !  L’idéal serait qu’il n’ait pas de feuilles, cela éviterait à certains clients, qui ne désirent que le blanc, de les enlever eux-mêmes dans le magasin ! Ah oui, le vert doit, de préférence, être très riche en anthocyane  (reflets rouges)  et attention, pas de thrips sur les feuilles, donc il doit être traité !

Il faut que la carotte soit bien grosse, mais de goût discret, ceci pour ne pas trop dénaturer les saveurs apportées par les mille apprêts gastronomiques dont on l’affuble pour, justement, lui donner un goût qu’elle a perdu depuis longtemps. Voila donc qui condamne sans appel les variétés comme la Carentan ou la Rothilde, beaucoup trop parfumées !

Il convient que les salades soient parfaitement délitées, c'est-à-dire que les feuilles grossières et vertes soient supprimées au profit du cĹ“ur que le consommateur exige bien blanc ; ce sont pourtant les feuilles bien vertes les plus avantageuses pour la santé.

Les haricots filets/mangetout doivent pouvoir se cueillir facilement, donc produire en abondance et au dessus des feuilles. Le reste est secondaire.

(A suivre)

Daniel ANDRÉ.

  
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